La désinvolture est une bien belle chose
Philippe Jaenada
En librairie dès le 21 août 2024
Tandis qu’au volant de sa voiture de location, il fait le tour de la France par les bords, Philippe Jaenada ne peut s’ôter de la tête l’image de cette jeune femme qui, à l’aube du 28 novembre 1953, s’est écrasée sur le trottoir de la rue Cels, derrière le cimetière du Montparnasse. Elle s’appelait Jacqueline Harispe, elle avait vingt ans, on la sur nommait Kaki. Elle passait son existence Chez Moineau, un café de la rue du Four où quelques très jeunes gens, serrés les uns contre les autres, jouissaient de l’instant sans l’ombre d’un projet d’avenir. Sans le vouloir ni le savoir, ils inventaient une façon d’être sous le regard glacé du jeune Guy Debord qui, plus tard, fera son miel de leur désinvolture suicidaire.
Dans ce livre magnifique et totalement original, Philippe Jaenada a cherché à savoir, à comprendre pourquoi une si jolie jeune femme, intelligente et libre, entourée d’amis, admirée, une fille que la vie semblait amuser, amoureuse d’un beau soldat américain qui l’aimait aussi, s’est jetée, un matin d’automne, par la fenêtre d’une chambre d’hôtel.


Philippe Jaenada est l’auteur d’une douzaine de romans, dont Le Chameau sauvage (prix de Flore), La Petite Femelle et La Serpe (prix Femina).
Photo Pascal Ito © Flammarion
Extrait
La mer du Nord est basse sur la plage de Dunkerque. On dirait du Flaubert (si – ou du Maupassant) mais il n’y a pas dix-huit façons de le dire : à Dunkerque, c’est marée basse. Un mardi de février à 16 h 05, en 2023, je suis sur le sable de Malo-les-Bains, ancienne commune aujourd’hui rattachée à la ville, j’ai marché quelques pas pour m’approcher de l’eau mais vite renoncé, c’est trop loin – cent ou deux cents mètres, je ne sais pas, les distances sont plus difficiles à jauger quand il n’y a rien devant soi, que du sable et au loin l’eau.
Dans mon dos, à une cinquantaine de mètres, derrière la haute fenêtre en bow-window du deuxième étage de la villa Les Tamaris, sur la promenade, la digue de Mer, Pauline Dubuisson est debout, elle vient de se rhabiller, le jeune soldat allemand qu’elle rencontre ici régulièrement l’après-midi est encore nu sur le lit, elle a quinze ou seize ans. Elle voit exactement la même chose que moi en ce moment (ou marée haute, peut-être), en 1943. […] Je suis venu à Dunkerque pour voir le décor de son enfance et de sa jeunesse, la maison où elle est née et a grandi, 6 rue du Maréchal-Pétain, aujourd’hui rue des Fusillés, les rues qu’elle parcourait légère et sans soutiengorge, et la jolie villa Les Tamaris, blanche et vert amande, étroite, sur la digue de Mer.
J’étais resté à Paris pendant l’écriture du livre dans lequel je racontais la vie de Pauline, car je craignais, en m’immergeant dans le décor de ses premières années, de me laisser imbiber par l’émotion (je me connais, je tourne vite neuneu) et, dans le texte, d’ajouter malgré moi du sentimentalisme mièvre à une histoire déjà bien pathétique. C’est la première fois que je viens à Dunkerque, j’ai attendu huit ans, je ne crains plus rien. J’ai décidé de partir à l’improviste, je tournais en rond à Paris, je n’avais rien à faire, j’ai loué une voiture chez Avis à la gare du Nord, une Ford Kuga noire, réservé une chambre à l’hôtel Merveilleux (forcément plus attirant qu’un hôtel Épouvantable), sur la digue de Mer, à quelques mètres de la villa Les Tamaris, et je rêvasse maintenant sur la plage immense, je me suis accroupi pour toucher le sable. […]
Mais je me rends compte que lorsque je regarde vers la mer, en imaginant les bateaux anglais qui s’éloignent, ce n’est plus seulement à Pauline Dubuisson que je pense : au milieu des bombes, je vois tomber une fille presque nue, elle tombe du ciel et disparaît dans l’eau. J’avais en tête depuis des mois l’image de cette jeune femme qui tombe en culotte noire (du cinquième étage d’un hôtel miteux), c’était devenu non pas une obsession, je suis sain d’esprit, mais une pensée récurrente, presque permanente, elle tombait, elle tombait, jeune, belle, brune, pâle ; ces derniers temps, c’était passé, je l’oubliais ; elle revient ; plus je regarde vers le large, le ciel, plus je la vois tomber, et tomber encore.
Je sais très peu de choses d’elle, et je pense qu’il sera impossible d’en découvrir beaucoup plus – elle est morte il y a bien longtemps, en 1953, à vingt ans, juste une fille inconnue qui se jette par la fenêtre. J’ai pu trouver quelques informations sur son suicide, et les témoignages flous et parfois contradictoires de certains de ses amis (elle fréquentait un bistrot d’habitués à Saint-Germain-des-Prés), mais tout le reste, l’essentiel, semble définitivement perdu dans le passé, englouti. J’avais fini par me dire qu’il fallait probablement la laisser dans cette brume épaisse et froide qui absorbe tout. Mais elle est toujours là, elle continue de tomber.
En librairie dès le 21 août 2024
Autres livres
chez Mialet-Barrault
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À paraître le 12 avril 2023.
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Pour rendre compte de ce temps, Michèle Sarde a choisi de mettre en scène Doña Gracia, une femme étonnante qui joua un rôle considérable à cette époque troublée. Issue d'une riche famille de marranes, elle fut amenée très jeune à diriger la « banque » Mendes, rivale de celle des Médicis. Rois et princes empruntèrent sans relâche à la riche banquière en la menaçant sans scrupules de la livrer aux inquisiteurs. Avec une audace rare et une intelligence aigüe, Doña Gracia ne cessa de jouer avec le feu. Disséminés dans toutes les villes mar-chandes d’Europe, ses agents commerçaient activement et servaient de relais aux marranes en fuite. Le jour où le danger devint trop pressant et quand Charles Quint vou-lut la déposséder de sa fortune, elle décida de fuir Anvers. Alors commença un extraordinaire périple qui la conduisit jusqu’à Istanbul, où Soliman le Magnifique l'accueillit et la protégea. De la Corne d'or, elle osa boycotter le port d'Ancone, fief des États pontificaux, coupables d'avoir condamné les Juifs au bûcher.Algérie, 1914. Yacine Chéraga n’avait jamais quitté son douar lorsqu’il est envoyé en France se battre contre les « Boches ». De retour au pays après la guerre, d’autres aventures incroyables l’attendent. Traqué, malmené par le sort, il n’aura, pour faire face à l’adversité, que la pureté de son amour et son indéfectible humanité. Un roman majeur dans l’œuvre de Yasmina Khadra et une plongée surprenante dans l’Algérie de l’entre-deux-guerres.
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