Pour l’amour d’Elena

 

Yasmina Khadra

 

En librairie dès le 10 mars 2021

À l’Enclos de la Trinité, un trou perdu dans l’État mexicain de Chihuahua, Elena et Diego s’aiment depuis l’enfance. On les appelle les « fiancés ». Un jour, Elena est sauvagement agressée sous les yeux de Diego, tétanisé. Le rêve se brise comme un miroir. Elena s’enfuit à Ciudad Juárez, la ville la plus dangereuse au monde. Diego doit se perdre dans l’enfer des cartels pour tenter de sauver l’amour de sa vie.
Pour l’amour d’Elena s’inspire librement d’une histoire vraie.

Yasmina Khadra

Yasmina Khadra est l’auteur d’une vingtaine de romans, dont L’Attentat, Ce que le jour doit à la nuit et Le Sel de tous les oublis.

Photo © D.R.

Extrait

Ramirez était fou furieux. Sa figure tressautait de colère et sa bouche clapotait de postillons.
Je ne me laissai pas impressionner :
— Je m’étais dit peut-être qu’Elena était dans les parages.
— Tu ne lâcheras donc jamais l’affaire ?
— J’ai fait attention à ne pas me faire remarquer, je t’assure.
J’observais de loin. Osario est un zigoto. J’suis sûr qu’il a enlevé Elena pour lui faire subir ce qu’il a fait à Maribel.
Ramirez se leva, les mâchoires crispées. Il marcha jusqu’à la fenêtre, alluma une cigarette et se mit à rejeter la fumée par les narines. Il se tourna vers moi, me considéra longuement et revint s’écrouler dans son fauteuil :
— Oublie Elena. C’est de l’histoire ancienne. On a des projets, toi et moi, Diego. On est là pour amasser un bon paquet de fric et nous tirer de cette ville de merde. On montera une affaire réglo et on coulera des jours peinards, loin des tueries et des descentes de police. Tu n’as qu’une chose à faire en attendant : te tenir à carreau. C’est pour cette raison que j’ai convaincu Cisco de te muter dans l’équipe de Cuchillo. Tu bosses parmi des cracks, Diego. Tâche d’apprendre auprès d’eux. Je connais que dalle au travail des bureaucrates.
— Tu crois que ce sont des bureaucrates ?
— Ouais, ils savent manier les ordis et les fichiers. C’est dans tes cordes. Tu as lu un tas de bouquins, toi.
J’éclatai de rire :
— Et alors ? Je suis aussi nul que toi pour le reste.
— D’accord, mais si tu t’appliques un peu, avec la culture que tu as puisée dans les bouquins, tu as des chances de devenir un crack, toi aussi. J’ai pas une tête pour ça, Diego. Or, on a besoin de savoir gérer la paperasse, les fichiers et les réglementations si on veut monter une affaire nickel vis-à-vis de la loi. Je veux être le président d’une vraie entreprise, pas le caïd d’une bande de cinglés. Je veux faire partie du gotha, pas du cartel. Quand on aura suffisamment de blé, on ira à Acapulco, ou à Cancún, ou bien à Mexico monter notre boîte dans les règles de l’art. À la place des flingues et des chaînes de vélo, on portera des cravates et des costards sur mesure…
Il m’étreignit les poignets. Son souffle redoubla de débit et ses yeux brillèrent d’une flamme vorace.
— Regarde El Cardenal, Diego. Est-ce un foudre de guerre ?
C’est qu’un gros con qui mène à la baguette un escadron de p’tits cons. Il ne sait ni lire ni écrire, et il descend des mêmes montagnes que nous. Est-ce que tu sais qu’il a débuté comme burrero pour le cartel de Sinaloa ? Il était en bas de l’échelle, sauf qu’il a décidé de brûler les étapes. Il serait encore en train de ramer s’il n’avait pas saisi sa chance au vol. La chance, il y en a pour tout le monde, Diego. Il suffit de ne pas laisser passer la nôtre. El Cardenal a osé se jeter au milieu des requins et nager dans les eaux troubles sans complexe. Il a pris des risques calculés. Regarde ce qu’il est devenu, le péquenot d’hier, le muletier de bas étage : un milliardaire.
— D’autres ont bâti des fortunes plus grandes, Ramirez.
Parce que leur empire reposait sur du vent, ils sont tombés les uns après les autres.
— C’est pour cette raison qu’on ira ailleurs monter une affaire nickel.
— Quand ?
— Quand tu auras cessé de penser à cette folle d’Elena, Diego. Pas avant. Le lendemain, à la nuit tombée, je me surpris en train de faire de nouveau le guet du côté du boxon clandestin.
C’était plus fort que moi. J’étais comme un somnambule.
Je fermais les yeux et, en les rouvrant, je me retrouvais au coeur de Paseo Ciprés, tapi dans un angle mort, à surveiller la ruelle, les gens qui entraient et sortaient de Chez Norma, les voitures qui passaient, les briquets qui s’allumaient dans l’obscurité, les fumeurs qui papotaient sur le trottoir, repoussant du pied les chiens qui venaient parfois me renifler les mollets.
Aucune trace d’Osario. Et pas l’ombre d’Elena.

En librairie dès le 10 mars 2021

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