Le fardeau

Matthieu Niango

En librairie dès le 20 août 2025

Dans les années 1980, il n’était pas évident d’être le fils d’une mère française et d’un père ivoirien.
Il fallait être entouré de beaucoup d’amour et s’accrocher ferme pour entrer à l’École normale supérieure et réussir l’agrégation de philosophie.
Matthieu Niango a vingt-trois ans quand sa mère lui apprend, ainsi qu’à ses frères et soeur, qu’elle a été adoptée.
Elle n’a jamais voulu savoir qui étaient ses parents biologiques.
Matthieu, lui, veut savoir et va se lancer dans une enquête extravagante pour découvrir l’incroyable vérité. Sa mère est née en 1943 dans un lebensborn, ces pouponnières nazies auxquelles les SS confiaient leurs enfants pour qu’ils deviennent de purs aryens. Il n’est pas évident d’apprendre que votre grand-père était un nazi. Encore plus déroutant de découvrir que votre grand-mère était une Juive hongroise, réfugiée en Belgique et qui, pour sauver sa peau, ou peut-être par amour, a conçu votre mère avec un officier de l’armée allemande. Français par sa mère, ivoirien par son père, nazi par son grand-père, juif par sa grand-mère, Matthieu Niango est en droit de se poser quelques questions sur la complexité de son héritage.

Matthieu Niango est normalien et agrégé de philosophie. Il a notamment publié La Démocratie sans maîtres (Robert Laffont, 2017), et La Dignité des ombres (Julliard, 2021).

Photo © Maxime Reychman

Extrait

Je m’appelle Matthieu Niango. Mon prénom est français. On trouve mon nom surtout en Afrique de l’Ouest. Il sonne « très africain », comme me l’a fait remarquer un homme chez qui j’étais venu visiter la chambre sans fenêtre qu’il louait en sous-sol, près de Paris. « En entendant votre nom au téléphone, j’aurais dû m’en douter », m’avait-il dit en me parcourant de la tête aux pieds sur le palier de sa mai-son de maître, avant même de me dire bonjour. Pourtant il y a aussi des Niango en Espagne, au Portugal, et dans tous les pays que ces nations ont soumis du temps de leur splendeur. Au XVIe siècle, des Portugais ont installé des comptoirs marchands en Côte d’Ivoire, d’où vient mon père, Anga Justin Niango. Il est possible que mon nom soit celui d’un colon qui se serait immiscé dans ma lignée.
Avant de se marier, ma mère s’appelait Gisèle Marc, pour le coup un nom bien français. Elle a grandi à Jouy-sous-les-Côtes, un village en Lorraine, dans la Meuse, un département rural. Nous vivions non loin de là, à Nancy, en Meurthe-et-Moselle, où maman s’était installée dans les années 1970 avec mon père. Ils ont eu quatre enfants, Virginie, Grégoire, Gabriel et moi, le plus jeune. Nous formons une famille unie.
Lorsque j’étais petit, avec mes parents, nous allions voir notre grand-mère tous les week-ends. Comme mon père est noir et que nous sommes métis avec mes frères et sœur, quelques vi-sages hostiles suivaient notre voiture dans les villages que nous avions à traverser avant le sien, situé à trois quarts d’heure de voiture de Nancy. À Jouy-sous-les-Côtes également, il y avait parfois du racisme. J’avais ainsi entendu un cousin nous appe-ler, le plus naturellement du monde, les « négros d’en face ». Nous n’en étions pas moins heureux de retrouver notre grand-mère, ainsi que beaucoup de gens bien qui vivaient au village.
Lorsque toute cette histoire commence, j’ai vingt-trois ans.20 juin 2004
Ce jour-là, ma grand-mère est morte. Après m’avoir appelé pour me l’annoncer, maman a réuni ma sœur et mes deux frères. Elle avait quelque chose à nous dire. Comme j’étais à Paris, je n’apprendrais son secret que le lendemain.[…] Maman vient me chercher en voiture à la gare. Nous roulons lentement dans la campagne meusienne jusqu’à Jouy-sous-les-Côtes. Nous parlons de ma grand-mère, bien sûr. Qu’elle ait atteint l’âge vénérable de quatre-vingt-quinze ans nous console un peu, tout comme ses dernières années dans une maison de retraite tenue par des bonnes sœurs, qui se sont bien occupées d’elle.
Mes frères et sœur nous attendent dans sa maison, ils me prennent dans les bras. Nous nous mettons à table dans cette cuisine typique de la Lorraine ancienne, avec son poêle à bois, son bac en pierre surmonté d’une arrivée d’eau, et chose éton-nante, son lit. Je m’attendais à ce qu’ils soient tristes. Il y a autre chose. Grégoire se tait, lui qui est tellement bavard. Ma-man, au regard si franc d’habitude, baisse les yeux. Je cherche à combler le vide.
« Matthieu, m’interrompt ma mère, je suis arrivée ici à deux ans et demi. »
Je sais depuis ce que signifie l’expression : le cœur se serre. On pourrait aussi dire qu’il s’assèche, qu’il est prêt à partir en miettes ou que le cours de la vie se glace avant de s’écouler dans une autre direction. Comme lorsque Camille, ma compagne, m’a annoncé qu’elle était à nouveau enceinte et que, d’abord, la frayeur m’a figé, avant d’être chassée par une joie surhumaine.
Deux ans et demi. Mes grands-parents s’étaient installés dans cette maison à leur mariage. Je suis arrivée ici à deux ans et demi ne pouvait vouloir dire que : J’ai été adoptée. Ma mère a été adoptée… Ces mots patinent dans ma tête.

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